About the Book
RÉSUMÉ DU LIVRE SECOND. La mode étant venue de tout résumer, nous prenons le parti de résumer nous-même chacun de nos livres, de peur que quelque industriel littéraire ne vienne nous enlever le fruit de nos labeurs. Or, vous voyez, honnêtes gens de toute sorte, qu'il ne suffit pas de boire frais et de se tenir en joie, il faut encore avoir une certaine finesse pour bien vivre. Avec ce livre en poche, vous pouvez éviter tous les impôts que nous avons signalés dans cette soixantaine de paragraphes. Nous avons calculé la somme totale de ces contributions perçues annuellement sur beaucoup de riches imprudents; elle s'élève à douze mille francs par tête. Vous remarquerez qu'il faut grande prudence pour sauver ces douze mille liv. de rente, qui, bien employées, peuvent donner tant de véritables jouissances. Mais il y a un écueil, une pierre d'achoppement. Nous vous voyons d'ici, la mine sévère, le front rude, l'oeil perçant, le parler sauvage, l'abord disgracieux, vous défiant de M. Pierre, de M. Paul, prenant en haine les humains et veillant en avare à votre argent. Fi !... Fi ! vous dis-je, vous cinglez à pleines voiles vers l'écueil, et vous courez risque de conquérir la réputation d'avare, de dur; ceci est épouvantable pour un homme comme il faut, dans le siècle aux soupes économiques, aux bureaux de charité, de maternité, de paternité, et dans le moment où le nom de philanthrope est un titre que l'on décerne au premier sot qui donne 15 sous pour un potage fraternel. Cependant nous avouerons qu'il y a plusieurs personnes de distinction, titrées, et de grand savoir, qui préfèrent encore passer pour ladres, avaricieuses, et se procurer le doux bonheur de faire le bien en secret. Elles ont même remarqué que, quoiqu'on les taxât d'avarice, on ne faisait que plaindre leur ridicule: car une idée prédomine toutes les autres, c'est qu'elles sont riches: alors on a pour elles un certain respect, on vient avec plaisir à leur table, on leur décerne le titre d'honorables; et, comme on ne parle jamais de vous qu'en votre absence, elles ont eu le courage de se mettre au-dessus de ce qui maîtrise le Parisien, et qu'on nomme le Qu'en dira-t-on ? Qu'en dira-t-on ? étant une puissance dans la capitale, et le combattre étant très-difficile, nous avons réservé pour ce résumé la recette la plus remarquable: ne faut-il pas au moins une pensée ou deux pour faire un résumé ? Aussitôt que vous vous serez déterminé à défendre votre bourse unguibus et rostro, étudiez la politesse française, acquérez cette grâce dans les manières, ce charme dans les paroles, cette galanterie des regards qui jettent un vernis séducteur sur un refus. Apprenez ces phrases pleines d'onction qui, saturées de l'honneur d'être, de je suis flatté, font dire de vous: C'est un homme charmant ! Si l'on dit cela de vous, à Paris, ne craignez jamais rien. Un homme aimable est devenu de nos jours ce que nos ancêtres nommaient la fleur des pois. Il ne fait rien que de bien, que de juste, que d'honnête. Il est vrai qu'il est difficile d'arriver à cette hauteur, et de tout concilier: cependant on a vu plusieurs personnes à Paris qui, mangeant à elles toutes seules leur revenu, passaient encore pour charmantes. Lorsque vous les rencontrerez, étudiez-les comme un peintre étudie son modèle. En achevant ce livre, une douleur nous a saisi ! N'avons-nous pas à vous annoncer qu'il existe cependant des impôts inévitables, des demandes justes qu'on ne saurait repousser, à moins d'être un brutal ou un harpagon. Nous avons sanctionné et légalisé, plus d'une fois, des sollicitations légitimes, comme: Le sou du savoyard, qui vous balaie un passage des boulevards; Le sou du commissionnaire, qui vous tend, un jour d'averse, une planche obligeante et lucrative; cet honnête commissaire, il abhorre les rhumes, il vous aime et soigne votre santé. L'avare Chapelain, l'a
About the Author: Honoré de Balzac, né Honoré Balzac à Tours le 20 mai 1799 (1er prairial an VII du calendrier républicain), et mort à Paris le 18 août 1850 (à 51 ans), est un écrivain français. Romancier, dramaturge, critique littéraire, critique d'art, essayiste, journaliste et imprimeur, il a laissé l'une des plus imposantes oeuvres romanesques de la littérature française, avec plus de quatre-vingt-dix romans et nouvelles parus de 1829 à 1855, réunis sous le titre La Comédie humaine. À cela s'ajoutent Les Cent Contes drolatiques, ainsi que des romans de jeunesse publiés sous des pseudonymes et quelque vingt-cinq oeuvres ébauchées. Il est un maître du roman français, dont il a abordé plusieurs genres, du roman philosophique avec Le Chef-d'oeuvre inconnu au roman fantastique avec La Peau de chagrin ou encore au roman poétique avec Le Lys dans la vallée. Il a surtout excellé dans la veine du réalisme, avec notamment Le Père Goriot et Eugénie Grandet, mais il s'agit d'un réalisme visionnaire, que transcende la puissance de son imagination créatrice. Comme il l'explique dans son Avant-Propos à la La Comédie humaine, il a pour projet d'identifier les Espèces sociales de son époque, tout comme Buffon avait identifié les espèces zoologiques. Ayant découvert par ses lectures de Walter Scott que le roman pouvait atteindre à une valeur philosophique, il veut explorer les différentes classes sociales et les individus qui les composent, afin d'écrire l'histoire oubliée par tant d'historiens, celle des moeurs et faire concurrence à l'état civil . L'auteur décrit la montée du capitalisme et l'absorption par la bourgeoisie d'une noblesse incapable de s'adapter aux réalités nouvelles. Intéressé par les êtres qui ont un destin, il crée des personnages plus grands que nature, au point qu'on a pu dire que, dans ses romans, chacun, même les portières, a du génie . Ses opinions politiques sont ambiguës s'il affiche des convictions légitimistes en pleine Monarchie de Juillet, il s'est auparavant déclaré libéral, et défendra les ouvriers en 1840 et en 1848, même s'il ne leur accorde aucune place dans ses romans. Tout en professant des idées conservatrices, il a produit une oeuvre admirée par Marx et Engels, et qui invite par certains aspects à l'anarchisme et à la révolte.