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Extrait: Chapitre I ( Fleurs d'Orient ) ILe Nil coulait lentement, dans le silence de la nuit, entraînant le reflet brisé des larges étoiles qui tachaient l'éther obscur du ciel. Et, pareille à un autre fleuve, une caravane, profitant de la fraîcheur nocturne, cheminait en bon ordre sur l'une des rives. Parfois, un cri s'élevait, activant l'allure d'une bête de somme; le claquement d'un fouet déchirait le silence, et le rythme d'un trot momentané sonnait sourdement sur le sable. La caravane voulait entrer à Oph, la ville royale des Pharaons, avant le lever du soleil; elle se hâtait, mais déjà le ciel blémissait, les étoiles s'effaçaient une à une; les objets apparaissaient, sans couleur encore, mais découpant leurs silhouettes noires sur l'atmosphère éclaircie. Les chameaux, cambrant leur long col et balançant leurs têtes aux lèvres pendantes, les ânes, disparaissant à demi sous leurs charges et harcelés par leurs conducteurs, les chariots, tirés péniblement par de grands boeufs qui mugissaient par instants, se dégageaient de plus en plus de l'ombre. Bientôt les ibis roses, qui dormaient un pied dans l'eau, fouettèrent l'air de leurs grandes ailes et étirèrent leurs membres; des gypaètes s'envolèrent avec des cris aigus, le Nil s'éclaira, en même temps que le ciel, et un faisceau de rayons d'or jaillit de l'horizon oriental. Alors, la caravane s'arrêta, tous les hommes se prosternèrent, la face tournée vers l'Orient, et, se répondant les uns aux autres, entonnèrent l'hymne matinal. Ô Ra ! Seigneur du rayonnement, brille sur la face d'Osiris ! Qu'il soit adoré au matin et qu'il se couche le soir; que son âme sorte avec toi hors de la nuit; qu'il vogue dans ta barque; qu'il aborde dans l'arche; qu'il s'élève dans le ciel ! Salut à toi, Ra Haremku Khepra ! qui existes par toi-même ! Splendide est ton lever à l'horizon; les deux mondes s'illuminent de tes rayons; le diadème du midi et le diadème du nord sont sur ton front. Je viens à toi, je suis avec toi pour voir ton disque chaque jour. Je ne suis pas enfermé, je ne suis pas repoussé. Mes membres se renouvellent à l'éclat de tes beautés, car je suis un de tes favoris sur la terre. Salut à toi, qui brilles à l'horizon le jour, et qui parcours le ciel, uni à la déesse Ma. Tous les hommes se réjouissent de te voir marchant vers eux; dans ton mystère ils prospèrent, ils progressent, ceux qui sont éclairés de tes rayons. Ô inconnu ! Incomparable est ton éclat; tu es le pays des Dieux ! On voit en toi toutes les couleurs de l'Arabie ! Ô soleil, qui n'as pas de maître ! Grand voyageur à travers l'espace ! Les millions et les centaines de mille lieues, en un instant tu les parcours; tu disparais et tu subsistes, ô Ra qui te lèves à l'horizon ! Gloire à toi, qui brilles dans le Nun, qui as illuminé les deux mondes le jour où tu es né, enfanté par ta mère de sa propre main; tu les illumines, tu les divinises, grand illuminateur qui brilles dans le Nun !
About the Author: Louise Charlotte Ernestine Gautier, dite Judith Gautier, par son mariage Madame Catulle Mendès, fut une célèbre femme de lettres française, née à Paris le 25 août 1845 et morte à Saint-Énogat (aujourd'hui Dinard) le 26 décembre 1917. Elle est inhumée à Dinard dans le quartier de Saint-Énogat, où elle possédait une maison, "le pré aux oiseaux." Judith Gautier fut l'une des femmes les plus fascinantes de son époque, ayant reçu en partage le talent littéraire, une beauté inouïe, une excentricité totale et une inépuisable générosité. Avec son profil grec, ses yeux noirs légèrement bridés, sa masse de cheveux surmontant un visage très blanc et des formes sculpturales, elle eut de nombreux admirateurs: C'est le plus parfait de mes poèmes, disait d'elle son père, le célèbre Théophile Gautier. Fille de l'écrivain Théophile Gautier et d'Ernesta Grisi (la soeur de la danseuse Carlotta Grisi), elle passa sa petite enfance dans une liberté quasi-absolue et sous la surveillance d'une nourrice à sa dévotion, qui ne lui rendirent que plus pesant son internement au pensionnat Notre-Dame-de-la-Miséricorde. Enfin son père la fit venir auprès de lui et de sa plus jeune soeur, Estelle. C'est là qu'elle fit montre de talents originaux, et qu'elle fit la connaissance de nombreux amis de son père, parmi lesquels Baudelaire ou les frères Goncourt. Elle parle elle-même de son enfance dans Le Collier des jours (1904). La première contribution de Judith Gautier à la littérature fut la publication d'un article sur la traduction française d'Euréka, d'Edgar Poe, par Baudelaire. Ce dernier fut absolument bouleversé par l'article de Judith.