Une villa centenaire raconte l'histoire de sa vie.
Mon extraordinaire épopée a débuté dans la petite cité médiévale au bord du lac de Neuchâtel en Suisse en 1912, une année paisible et prospère. Les touristes parisiens séjournaient dans l'hôtel en face, passant leurs journées sur la plage et leurs soirées au Casino-Théâtre. J'étais une imposante villa néo-classique et dans cette région profondément catholique, on m'a nommée La Villa St-Pierre. Actuellement, vous tenez mon journal intime dans vos mains. C'est l'histoire d'un siècle de ma vie, des secrets de mes propriétaires et des citoyens de ma ville, de leurs anciennes traditions, de leur courage en temps de guerre et de leur ingéniosité en temps de paix.
En été 1914, le monde entier a été plongé dans un tourbillon de mort et de destruction. L'armée suisse était mobilisée, et le peuple suisse s'inquiétait de son approvisionnement alimentaire en raison de la guerre chez les pays voisins. Les nouveaux soldats de notre ville ont communié à l'église, fusils à la main, tandis que le son des tambours et des clairons résonnait au loin. Un contingent massif de soldats, une véritable forêt de fusils, défilait devant ma porte sur l'avenue de la Gare. Trois mille soldats d'infanterie ont marché dans la ville et y ont passé la nuit.
Ma propriétaire, une jeune veuve, recevait des cartes postales colorées d'un ami dans la Légion étrangère française, affrontant la mort quotidiennement dans les tranchées en France. Un flux constant de soldats blessés arrivait à la gare, et l'ambulance de la Croix-Rouge tirée par des chevaux était débordée. Enfin, après quatre longues années de rationnement, de privations et de peur, le son de la cloche de l'église annonça l'armistice.
Entre les deux guerres, les fils de ma propriétaire grandirent, l'un d'eux devenant médecin. Une nouvelle annexe fut ajoutée pour son cabinet médical. Le mariage du jeune médecin fut célébré dans l'ombre d'une nouvelle guerre. Hitler envahit la Pologne et la Seconde Guerre mondiale commença. Le Blackout fut de rigueur, et nos domestiques couvrir mes fenêtres de lourds panneaux noirs.
Un matin de juin, quelque chose d'étonnant se produisit sur l'avenue de la Gare. Une troupe de cavaliers exotiques passa devant mon portail, vêtus de hauts turbans blancs, de vestes rouges, de pantalons volumineux, de bandoulières et d'épées ornées de capes rouges flottantes. La ville accueillit une centaine de Spahis, des troupes de cavalerie internées d'Algérie. Personne, surtout pas les jeunes filles de la ville, ne resta indifférent à ces visiteurs exotiques tout droit sortis des Mille et Une Nuits.
Enfin, la guerre prit fin. C'est le début de mon déclin. Peu à peu, je tombai en ruine et finalement, je fus mise en vente.
Un couple américain tomba amoureux de moi, m'acheta, et entreprit ma restauration. Les voisins observaient les nouveaux propriétaires s'efforçant de s'adapter aux protocoles catholiques stricts et aux nombreux jours fériés.
J'entrai dans une nouvelle phase où j'accueillais des stages de peinture, des hôtes en Bed and Breakfast, une Master Class de l'Opéra de Paris, des cours universitaires d'archéologie et d'histoire, et je devins le lieu de tournage du feuilleton suisse "Lüthi und Blanc."
Le millénaire se termina avec l'ouragan Lothar. Un cèdre géant tomba sur moi, causant d'importants dégâts. J'ai également connu l'isolement lors de la pandémie de coronavirus et l'arrivée de réfugiés d'Ukraine dans mes chambres lorsque le conflit éclata.
Je suis ravie de partager mes aventures d'un siècle avec vous et je vous souhaite... Bonne lecture !