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Extrait I La dynamite Un petit navire à la carène peinte en noir, aux formes lourdes, à l'arrière duquel flottait le pavillon tricolore du royaume de Hollande, était amarré dans le port de Vladivostok, mais à une distance respectable des autres navires. Grâce à un plancher mobile, le pont du hollandais était presque de niveau avec le quai, et c'est sur ce plancher, où avaient été disposés des rouleaux, qu'une douzaine de coolies chinois surveillés par une escouade de cosaques, embarquaient avec une extrême lenteur et d'infinies précautions des caisses carrées de dimensions moyennes mais d'un très grand poids. Sur le pont du navire, le capitaine, un jovial compagnon à longue barbe blonde, veillait en personne à l'arrivage des précieuses caisses. On s'expliquait que tant de soins eussent été pris, en lisant en grandes lettres noires sur les planches de l'emballage l'inscription suivante, surmontée des armes de la Russie: Manufacture impériale de Russie Cartouches de dynamite à usage des mines. Fragile, craint les chocs et la chaleur. Le redoutable explosif, que les cosaques avaient amené dans un wagon spécial, était destiné aux chercheurs d'or du Klondike, qui, dans leurs travaux, en font une grande consommation, et les caisses qui le contenaient étaient plombées et scellées du sceau impérial. Depuis plusieurs mois déjà, le capitaine du vapeur la Belle Dorothéa faisait le voyage de Vladivostok au Klondike et, comme on peut le supposer, il demandait un fret très élevé pour le transport d'une marchandise à ce point dangereuse. Aussi, bien qu'il ne prît jamais qu'un chargement très peu considérable, il avait pu réaliser de sérieux bénéfices sans qu'il lui fût jamais arrivé aucun accident. D'un tempérament très flegmatique, en bon Hollandais qu'il était, le capitaine Wilhelm Van Blook dormait sur ses deux oreilles, à côté d'une masse de dynamite capable de faire sauter une douzaine de villages, et il ne se privait même pas de fumer sa pipe dans le voisinage des redoutables caisses arrimées à l'avant, le plus loin possible des machines et de la cuisine. Quand on le félicitait de n'avoir jamais eu d'accident, il ne manquait pas de répondre facétieusement: - S'il y avait un accident, pensez-vous, ce ne serait pas un petit accident. La Belle Dorothéa sauterait comme une pelure d'oignon; il n'en resterait pas seulement un morceau de la grosseur de ma pipe. Il riait à gorge déployée, enchanté de cette plaisanterie qu'il rééditait au moins deux ou trois fois tous les jours..
About the Author: Biographie - Gustave Le Rouge Gustave Lerouge, dit Gustave Le Rouge, né à Valognes le 22 juillet 1867 et mort à Paris le 24 février 1938, est un écrivain et journaliste français. Portrait: Gustave Le Rouge était un polygraphe, auteur de nombreux ouvrages sur toutes sortes de sujets - un roman de cape et d'épée, des poèmes, une anthologie commentée de Brillat-Savarin, des Souvenirs, des pièces de théâtre, des scénarios de films policiers, des ciné-romans à épisode, des anthologies, des essais, des ouvrages de critique... - et surtout de romans d'aventure populaires dont la plupart incorporent une dose de fantastique, de science-fiction ou de merveilleux. Suiveur de Jules Verne et de Paul d'Ivoi dans ses premiers essais dans ce genre (La Conspiration des Milliardaires, 1899-1900; La Princesse des Airs, 1902; Le sous-marin Jules Verne, 1902), il s'en démarque nettement dans les ouvrages plus aboutis du cycle martien (Le prisonnier de la planète Mars, 1908; La guerre des vampires, 1909) et dans Le Mystérieux Docteur Cornélius (1911-1912, 5 vol.), considéré comme son chef-d'oeuvre, un roman dont le héros maléfique est le docteur Cornélius Kramm, le sculpteur de chair humaine inventeur de la carnoplastie, une technique qui permet à une personne de prendre l'apparence d'une autre. Le Rouge y récuse tout souci de vraisemblance scientifique au profit d'un style très personnel, caractérisé par une circulation permanente entre le plan du rationalisme et celui de l'occultisme, et par l'imbrication fréquente entre l'aventure et l'intrigue sentimentale (à la différence de Jules Verne). Ses romans de science-fiction évoquent Maurice Leblanc, Gaston Leroux et surtout Maurice Renard.