Voici le premier volume de notre collection Gordiens & Borroméens consacré aux Ruines psychiques.Pour conserver la vie et aménager l'angoisse de dépérir, l'homme construit l'avenir sur les ruines de son histoire. Il n'a pas besoin de s'obliger à se retourner de temps en temps pour savoir d'où il vient et ce qu'il a vécu. En effet, les vestiges présents dans le chemin, dans les cicatrices de l'urbanisme et dans les rides et les hématomes de l'architecture lui rappellent constamment les événements cruciaux du passé. Une série de résidus et de scories se produit inévitablement et, comme le dit Lacan, tout ce que fait l'homme finit toujours dans le déchet, n'est-ce pas ? Mais une seule chose garde une petite dignité, c'est les ruines (Lacan, Les Non-dupes-errent, séance du 9 avril 1974).
Lacan a raison, dans la mesure où ces déchets dignes, ces décombres avec valeur, que nous appelons du terme de ruines psychiques, s'inscrivent comme des vestiges de la vie en faisant fonction de fondations pour de nouvelles constructions. Ce sont pourtant justement ces traces ineffaçables du corps profond qui apportent au sujet l'énergie, les repères et le savoir-faire pour fabriquer une nouvelle réalité avec ses rêves. C'est ce que nous appelons du terme de réveloppement, le réveloppement des ruines psychiques.
Au fin fond de la création esthétique, du savoir scientifique, de toute possible herméneutique et, au-delà des mots, lorsque toute tentative de vanité est neutralisée par le destin humain, la seule éthique qui vaille est de conserver et de transmettre le progrès de la vie. Cependant, le progrès implique surtout discontinuités, ruptures, pertes et, de ces vicissitudes, demeurent forcément quelques traces sensorielles, des restes émotionnels, des empreintes affectives. Le progrès est, pour cela, un mouvement perpétuel de fabrication, de conservation et de réaménagement des ruines à venir..
Les ruines architecturales ont une réelle valeur d'ancrage parce qu'elles témoignent des progrès révolus dans un lieu précis. Les ruines monumentales marquent de leur sceau transcendantal l'inscription indélébile d'un endroit dans la mémoire d'un peuple. Les ruines urbanistiques apportent un esprit ascendant à quelques morceaux de l'espace qu'elles détachent de la valeur du quotidien. Néanmoins, en termes subjectifs, il y a des ruines aussi. Les ruines psychiques deviennent parfois les événements architecturaux, monumentaux ou urbanistiques d'autres événements de vie qu'elles réduisent à la soustraction du temps. Leur permanence aimante l'homme à une terre, à des voix, à des sons, à des visions ou à des sensations d'antan et à un essaim de légendes, de mythes et de traditions qui tissent une histoire. Elles évoquent les racines à peine perceptibles mais bien réelles d'une préhistoire..
Les textes ici présents, de psychanalystes, psychiatres, psychologues et érudits, apportent avec lucidité et relief les arguments nécessaires pour formaliser et faire travailler notre nouveau concept des ruines psychiques. Je remercie de tout coeur Llewellyn BROWN, Pauline IUVCHENKO, Benjamin LÉVY, Carole NIQUET, Jérémie SINZELLE et Virginie TSCHEMODANOV pour avoir bien voulu apporter leur riches et profondes contributions à ce projet collectif.
German ARCE ROSS
Paris