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Extrait MARSEILLE OU TARASCON I Connaissez-vous Tarascon? Tarascon, où l'on grille en été, où l'on gèle en hiver, où les pavés pointus semblent les ennemis jurés des chevaux et des cavaliers; Tarascon, où l'on se couche à huit heures, où les pensions sont excellentes, où les femmes sont prudes. Il y avait déjà pas mal d'années que le 27e dragons, établi dans cet agréable endroit, se berçait du fol espoir de changer avec l'autre régiment de la brigade, le 28e, qui tenait garnison à Marseille. Au mois d'avril et au mois d'octobre surtout, ces espérances revenaient plus vives; on entrevoyait tous les plaisirs de la grande ville, ses théâtres, ses cercles; on songeait à la proximité de Nice, à Monte-Carlo, à la roulette! Mais les automnes succédaient aux printemps, et le 27e restait toujours, toujours à Tarascon! Le sous-lieutenant Larmejane était navré. À quoi bon, je vous le demande, être tout frais émoulu de Saumur, être grand, svelte, joli garçon, porter comme pas un le nouveau dolman à soutaches d'argent et la botte Chantilly, pour n'avoir d'autre distraction que de parcourir chaque jour le triangle ayant pour trois sommets: le quartier, le mess et le logement?... Et pas de femmes! Aussi, quelle ne fut pas la joie de Larmejane quand, un matin que, le stick sous le bras, il fumait mélancoliquement sa cigarette sur le chemin de la gare, il aperçut deux femmes causant sur un banc: une blonde et une brune. Habituellement, à cette heure surtout, le boulevard de la Gare était absolument désert. Était-ce coquetterie, ou simple sécurité d'une femme qui se croit seule? mais la blonde, tout en causant avec son amie, leva sa robe tout naturellement, rajusta sa jarretière de sa main finement gantée, puis laissa retomber sa jupe. Le tout n'avait pas duré une seconde: mais Larmejane, émerveillé, avait aperçu un bas de soie bleu moulant une jambe exquise, un véritable éblouissement! Cristi, la jolie jambe! s'écria-t-il d'une voix vibrante. La blonde se retourna toute confuse, tandis que son amie cherchait à étouffer un formidable éclat de rire. C'est qu'elle était vraiment fort jolie, avec ses cheveux ondés sous la petite capote de velours bleu, son tout-pareil anglais en drap bleu-roi, sa mine qui essayait d'être sévère en dépit de la situation et, avec cela, un air absolument comme il faut, si comme il faut que, sans la radieuse apparition du bas de soie bleu, jamais Larmejane n'eût osé entamer la conversation. Mais bast! quand on ne veut pas connaître les gens, on ne rajuste pas sa jarretière à leur nez, et notre sous-lieutenant n'était pas homme à laisser passer pareille aubaine. Il vint s'asseoir carrément à côté des deux femmes et, après avoir salué le plus respectueusement du monde, il commença:
About the Author: Richard de L'Isle de Falcon de Saint-Geniès, dit Richard O'Monroy, né en 1849 à Paris où il est mort en 1916, est un romancier et nouvelliste français. Avec Gyp et Ludovic Halévy, il est l'un des conteurs de la vie parisienne dans le dernier quart du XIXe siècle. Sorti de l'école de Saint-Cyr en 1870, il est capitaine de cavalerie lorsqu'il est acculé à la démission en 1891, ce qui lui permet de se consacrer pleinement à l'écriture. Il contribue à La Vie parisienne et au Gil Blas des saynètes de la vie d'officier, des croquis parisiens, des romans et des nouvelles réunis par la suite en une cinquantaine de volumes. Il est également l'auteur de quelques vaudevilles et comédies en un acte. Son style d'allure vive et sa gaieté sentimentale ont su plaire pendant un temps à un certain public